Les petits Etats insulaires en développement menacés par un réchauffement de 1,5°C

Discours du ministre de Tuvalu pour la COP 28. Crédit photographie : Capture d’écran d’une vidéo du New Scientist.

 Les petits Etats insulaires en développement (PEID) sont des pays au sein desquels une part importante de la population et des infrastructures sont installées sur une zone côtière. Ces Etats sont donc particulièrement vulnérables aux changements climatiques – d’autant plus qu’ils font également face à d’importantes limites en termes d’adaptation, tant pour des raisons économiques et technologiques que sociales et environnementales.

Le chercheur en sciences marines Michalis I. Vousdoukas et ses collègues s’interrogent ainsi sur l’avenir de ces Etats, dans un article paru en décembre 2023 au sein de la revue Nature Sustainability.

L’étude souligne en premier lieu que les PEID subissent déjà d’importantes pertes en raison de la montée des océans et des divers événements climatiques extrêmes qui frappent leurs côtes. Aux Îles Salomon, dans le Pacifique, certaines îles comme Sogomou ont par exemple perdu plus de la moitié de leur superficie par rapport au milieu du XXe siècle.

Evolution de la superficie de l’île Sogomou entre 1947 et 2014. Crédit image : Simon Albert et al., 2016, Environmental Research Letters.

Les auteurs de l’étude remarquent cependant que les divers PEID font face à des situations extrêmement diverses, ce qui rend particulièrement difficile toute évaluation globale des risques auxquels ils sont confrontés. Ces Etats, au nombre de 52, incluent par exemple quelques nations principalement constituées d’atolls (Kiribati, les Îles Marshall, Tuvalu et les Maldives), mais aussi des îles volcaniques et même quelques pays continentaux comme le Belize ou la Guinée-Bissau, qui comportent de nombreuses îles menacées au large de leurs côtes.

Le niveau de développement économique de ces États varie également de façon considérable : certains font partie des plus pauvres du monde, tandis que d’autres, tel Singapour, sont au contraire très riches.  

En dépit de cette grande diversité, l’étude menée par les auteurs propose une évaluation des risques d’inondation côtière pour l’ensemble des PEID, en prenant en considération plusieurs scénarios de réchauffement différents.

Les auteurs estiment qu’à ce jour, seule 0,31% de la superficie totale des PEID est en moyenne inondée par des marrées exceptionnelles chaque année. De telles inondations affectent déjà 100 000 personnes par an, pour l’essentiel dans les Caraïbes et le Pacifique. Elles engendrent également des destructions économiques annuelles estimées à 1,64 milliards de dollars – soit 0,13 % du PIB total des PEID. Certains Etats sont cependant plus affectés que d’autres : les pertes liées aux inondations côtières représentent ainsi au Belize 3,17% du PIB national.

Le village de Monkey River au Belize, menacé par la montée des eaux. Crédit photographie : Nations Unies.

 Les recherchent menées par les auteurs indiquent que ces inondations côtières devraient croître drastiquement au cours du XXIe siècle. Ainsi, dans le cadre du scénario SSP2-4.5, qui correspond aux trajectoires de réchauffement actuellement anticipées et anticipe un niveau de réchauffement de 2,7°C d’ici la fin du siècle, la surface annuellement inondée aux sein des PEID devrait atteindre à la fin du siècle entre 13 810 km² et 38 059 km², soit entre 1,1% et 3,2% de la surface totale de ces Etats.
 

Un réchauffement limité à 1,5°C conduirait à des inondations annuelles plus limitées mais néanmoins significatives, puisqu’elles seraient comprises entre 1 460 km² et 31 697 km².

Superficie des zones inondées annuellement (e) et des zones inondées de façon ininterrompue (f). Crédit image : Michalis I. Vousdoukas, 2023, Nature Sustainability.

Même dans le cas du scénario le plus optimiste (SSP1-1.9), qui anticipe un réchauffement inférieur à 1,5°C, le nombre de personnes exposées aux inondations côtières au sein des PEID serait multiplié par cinq d’ici la fin du siècle. Les trajectoires de réchauffement actuelles (scénario SSP2-4.5) devraient quant à elles conduire entre 950 000 et 3 millions de personnes supplémentaires à être exposées aux inondations côtières d’ici la fin du siècle.

Sur le plan économique, les pertes s’annoncent également considérables. Elles devraient être multipliées par 10 environ d’ici 2050, et ce quel que soit le scénario de réchauffement. Elles pourraient atteindre 2,5% du PIB des PEID d’ici la fin du siècle pour une trajectoire de réchauffement à 2,7°C.

Nombre de personnes affectées par les inondations côtières (a) et dommages économiques annuels en % du PIB (b) selon divers scénarios d’émissions, du plus optimiste (SSP1-1.9) au plus pessimiste (SSP5-8.5). En gris : prévisions en l’absence de réchauffement climatique. En jaune : prévisions des effets du changement climatique en l’absence d’évolutions économiques pour 2050 (jaunes clair) et 2100 (jaune foncé). En vert : prévisions des effets du changement climatique en prenant en compte les dynamiques socio-économiques pour 2050 (vert clair) et 2100 (vert foncé). Crédit image : Michalis I. Vousdoukas, 2023, Nature Sustainability.

Ces dommages ne se répartiront pas de façon égale et certains PEID sont donc condamnés à subir des pertes extrêmement lourdes. Même dans le cas des scénarios les plus optimistes (niveau de réchauffement inférieur à 1,5°C), des régions comme le Guyana ou les îles Turques-et-Caïques pourraient ainsi subir des pertes supérieures à un tiers de leur PIB du fait de la progression des inondations côtières.

Ces dommages pourraient cependant être atténués par des efforts d’adaptation. Pour avoir un effet réel, ces efforts devront toutefois être draconiens. Il est donc peu probable que l’ensemble des PEID soient en mesure de les mettre en œuvre. Outre leur coût, les infrastructures permettant de se protéger des effets des inondations côtières peuvent également avoir des effets négatifs sur la biodiversité, souvent déjà menacée.

Les résultats de l’étude reposent d’ailleurs sur l’hypothèse selon laquelle les écosystèmes continueront à fournir une protection naturelle contre les effets des inondations. Ces résultats doivent donc être considérés comme extrêmement conservateurs, étant donnée la fragilité actuelle de ces écosystèmes. Les récifs coralliens, qui offrent une barrière contre les vagues, sont par exemple déjà en voie de disparition.

Coraux soumis à un processus de blanchiment. Crédit photographie : David Lorieux / Office français de la biodiversité

Les résultats proposés ne portent par ailleurs que sur les dommages directs causés par les inondations et excluent donc les dommages indirects (comme par exemple l’émergence de possibles tensions sociales et politiques consécutives à la multiplication des désastres), dont la modélisation est particulièrement complexe. Ces derniers pourraient pourtant s’avérer considérables.

Les inondations côtières représentent ainsi une menace extrêmement sérieuse pour les PEID. Ces Etats doivent par ailleurs souvent faire face à d’autres difficultés environnementales locales et seront également condamnés à subir les autres effets du dérèglement climatique : sécheresses, précipitations extrêmes, etc.

Il n’est dès lors pas étonnant que les PEID soient à l’avant-garde des efforts diplomatiques de lutte contre le dérèglement du climat : c’est dans certain cas leur survie même qui se jouera sans doute au cours de ce siècle.

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