Dérèglement climatique et micro-organismes

Cyanobactéries ou « algues bleues ». Crédit photographie : Anses.

Les conséquences néfastes du dérèglement climatique sur les plantes et sur les animaux sont aujourd’hui abondamment documentées. Les effets du réchauffement climatique sur les micro-organismes, êtres vivants et virus invisibles à l’œil nu en raison de leur petite taille (inférieure à 50 micromètres), sont en revanche moins bien connus et très peu discutés au sein de l’espace public.

Dans une analyse publiée en juin 2019 au sein de la revue Nature, plus de 1700 biologistes alertent pourtant sur l’importance de cette question. Les micro-organismes sont en effet au fondement de l’ensemble des écosystèmes terrestres. Le bouleversement de cette vie minuscule sous l’effet du changement climatique aurait donc des répercussions majeures sur l’ensemble du vivant.

De plus, les micro-organismes jouent un rôle majeur dans le cycle du carbone. Le dépérissement de certains d’entre eux pourrait dès lors contribuer à renforcer le réchauffement déjà en cours, puisque le dioxyde de carbone est l’un des principaux gaz à effet de serre.

Une telle menace doit être prise au sérieux. Les auteurs de cette analyse soulignent ainsi que les effets du dérèglement climatique sur les micro-organismes marins, qui constituent près de 90% de la biomasse marine, sont déjà visibles. Or, les phytoplanctons marins effectuent la moitié de la fixation photosynthétique du dioxyde de carbone sur Terre et jouent par là un rôle majeur dans la régulation du climat terrestre.

Certaines formes de phytoplancton, comme les diatomées pélagiques, connaissent déjà un important déclin depuis les années 1990. Les causes de ce déclin sont nombreuses et complexes. L’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre ont cependant un impact indéniable sur de nombreux paramètres essentiels à la vie de ces micro-organismes : température des océans, acidification des eaux, circulation des courants marins, apport en nutriments, etc.

Les diatomées, un embranchement d’eucaryotes unicellulaires, pourraient être significativement affectées par le dérèglement du climat. Peu connus du grand public, ces organismes occupent pourtant une place importante dans la vie océanique. Crédit photographie : Gordon T. Taylor / Stony Brook University

De manière générale, le réchauffement des océans devrait favoriser la multiplication des plancton de moindre taille, aux dépends de ceux qui sont d’une taille plus importante. Une telle évolution aurait des conséquences majeures sur les flux biogéochimiques, c’est-à-dire sur la circulation des éléments chimiques (azote, oxygène, carbone…) entre l’atmosphère, la biosphère marine et l’hydrosphère. Ces changements pourraient à terme entraîner une production microbienne marine accrue, au détriment des niveaux trophiques supérieurs, qu’il s’agisse des végétaux, des poissons ou des crustacés.

La modification de l’environnement marin est également susceptible d’altérer les interactions entre différents organismes. Les réchauffement des eaux conduit par exemple les coraux à expulser certaines algues, appelées zooxanthelles, avec lesquelles ils entretiennent une relation symbiotique souvent essentielle à leur survie. De là un phénomène de blanchissements généralisé des coraux, qui pourrait conduire à la disparition de cette forme de vie au cours du XXIe siècle.

Le blanchissement des coraux conduit à leur affaiblissement, voire à leur mort. Crédit photographie : Lara Maiklem.

Les effets du dérèglement climatique ne se limitent toutefois pas aux océans. Le dérèglement exerce une influence à la fois directe et indirecte sur les communautés microbiennes présentes dans les sols, à travers une multiplicité de facteurs interdépendants : températures, précipitations, propriétés du sol et l’apport végétal.

Des études menées laboratoire et des observations en milieu naturel indiquent notamment que des températures plus élevées conduisent à une augmentation de la croissance et de la respiration des micro-organismes présents dans les sols, ce qui conduit à une libération de dioxyde de carbone.

Les micro-organismes du sol régulent en effet la quantité de carbone organique stockée dans le sol et libérée dans l’atmosphère, et la modification de leur activité peut avoir des conséquences majeures pour le climat. L’enjeu est significatif, puisque les sols retiennent environ 2 000 milliards de tonnes de carbone organique, une quantité supérieure à celle présente dans l’atmosphère et dans la végétation.

Les effets du réchauffement climatique sur les microbes présents dans les sols sont cependant difficile à anticiper avec exactitude, puisque l’activité accrue de la vie microbienne sous l’effet du réchauffement est susceptible de conduire à terme à un épuisement des substrats présents dans les sols et donc à une réduction progressive de l’activité microbienne elle-même, ce qui compenserait les effets initiaux du réchauffement.

L’évolution de la vie micro-organique dans les sols pourrait cependant avoir des conséquences agricoles importantes. Le réchauffement pourrait notamment entrainer une infertilité accrue des terres en affaiblissant certaines bactéries qui contribuent à la fixation dans le sol de l’azote, macro-nutriment essentiel à la croissance des plantes.

Le cycle de l’azote, d’une grande complexité, pourrait être perturbé par l’influence du dérèglement climatique sur la vie micro-organique, avec des conséquences majeures pour l’ensemble du vivant. Crédit image : OCAL.

L’agriculture intensive, qui repose souvent sur des réseaux trophiques au sein desquels les bactéries occupent une place importante, pourrait être particulièrement touchée. Par ailleurs, la capacité des plantes à stocker le carbone qui pourrait elle aussi être menacée par l’évolution des micro-organismes présents dans les sols.

Le dérèglement du climat, en affectant les micro-organismes régulant des cycles complexe comme celui de l’azote, pourrait ainsi donner lieu à des effets difficilement prévisibles sur les sociétés humaines et sur l’ensemble du vivant.

Les effets du réchauffement climatique sur les micro-organismes sont en fait innombrables. Il est ainsi avéré que la fonte du pergélisol conduit à la réactivation de nombreux organismes dont l’activité libère d’importantes quantités de dioxyde de carbone et de méthane (un gaz à effet de serre au pouvoir de réchauffement 28 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone) dans l’atmosphère.

Il est par ailleurs probable que le changement climatique augmente la fréquence, l’intensité et la durée des proliférations de cyanobactéries dans de nombreux lacs et réservoirs. Ces bactéries produisent diverses toxines qui peuvent être mortelles pour les mammifères, humains compris. Leur multiplication menacerait ainsi l’utilisation des eaux pour la production d’eau potable, l’irrigation agricole ou la pêche.

Lac contaminé par des cyanobactéries. Crédit photo : ARS Bretagne.

De manière générale, la diminution de la biodiversité des organismes macroscopiques sous l’effet conjoint de l’activité humaine (agriculture, extension urbaine…) et du réchauffement climatique menace la biodiversité de nombreux micro-organismes qui dépendent eux-mêmes de certains hôtes animaux ou végétaux. Ce genre de processus est susceptible de conduire à des effets en cascade difficiles à anticiper.

En conclusion de leur analyse, les auteurs souligne une nouvelle fois l’importance de la biodiversité microbienne, pratiquement illimitée par rapport à la vie macroscopique et pourtant souvent négligée. Nos connaissances au sujet de cette vie invisible progressent rapidement, mais demeurent pour l’instant très lacunaires. Notre incapacité collective à anticiper la réaction du pan le plus fondamental du vivant aux bouleversements en cours est jugée particulièrement inquiétante par les signataires de cet avertissement.

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