Réchauffement climatique et températures annuelles extrêmes

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Dans un article publié en mai 2023 dans la revue Nature Sustainability, Timothy Lenton, professeur en Sciences du système Terre à l’Université d’Exeter, et ses collègues proposent d’estimer le nombre de personnes susceptibles d’être exposées à des températures annuelles extrêmes d’ici la fin du XXIe siècle.

L’essentiel de la population humaine s’est concentrée, depuis l’essor de la civilisation il y a environ 12 000 ans, dans des zones où les niveaux moyens de températures étaient généralement compris entre 13°C et 27°C. Ces deux bornes définissent ainsi une « niche climatique » en dehors de laquelle la mortalité et la morbidité augmentent significativement.

Distribution de la population mondiale en fonction du niveau moyen de températures locales en 1980. Crédit image : Timothy Lenton et al., 2023, Nature Sustainability.

Des températures excessivement élevées, surtout lorsqu’elles sont combinées à un climat humide, sont en effet défavorables à l’agriculture vivrière, dont dépendent aujourd’hui 2 milliards de personnes, et favorisent en outre le développement de pathologies.

Lorsque la température annuelle moyenne commence à dépasser les 27°C, la durée moyenne d’exposition à des températures supérieures à 40°C, particulièrement dangereuses pour la santé humaine, augmente significativement. Pour une température annuelle moyenne de 29°C, l’exposition à des températures extrêmes atteint par exemple 75 jours.

Distribution de la population mondiale à venir (9,5 milliards de personnes) en fonction du niveau moyen de températures locales, selon divers scénarios de réchauffement, par opposition à la distribution de référence qui prévalait dans les années 1980 (en violet). Crédit image : Timothy Lenton et al., 2023, Nature Sustainability.

Les auteurs de l’étude ont calculé que seule 0,3% de la population mondiale était soumise à des températures annuelles moyennes supérieures à 29°C en 1980, soit 12 millions de personnes. Depuis les années 2010, c’est cependant 1% de la population mondiale qui est soumise à un tel niveau moyen de température – une hausse significative, qui découle du réchauffement climatique.

Si les trajectoires de réchauffement actuelles devaient se confirmer, le réchauffement du climat devrait atteindre 2,7°C en moyenne à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle. C’est alors environ 25% de la population qui sera soumise à des températures annuelles supérieures à 29°C – contre 5% environ dans le cas où le réchauffement  serait limité à 1.5°C.

Distribution de la population mondiale à venir (9,5 milliards de personnes) en fonction du niveau moyen de températures locales, selon divers scénarios de réchauffement, par opposition à la distribution de référence qui prévalait dans les années 1980 (en violet). Crédit image : Timothy Lenton et al., 2023, Nature Sustainability.

Si le seuil de 29°C de température annuelle moyennes est particulièrement significatif, les premiers effets néfastes de la chaleur sur la santé humaine se manifestent dès 27°C. Or, c’est déjà près de 10% de la population mondiale qui est déjà exposée depuis les années 2010 au dépassement d’un tel seuil, et qui vit donc en dehors la niche climatique humaine.

Les trajectoires d’émissions actuelles, combinées aux facteurs démographiques (les régions les plus chaudes étant aussi celles où la croissance de la population est à ce jour la plus élevée),  devraient conduire environ 40% de la population mondiale à vivre en dehors la niche climatique d’ici 2090 – les trois quart de cette hausse s’expliquant par la seule augmentation des températures, tandis que le quart restant résulte de l’évolution démographique.

Etant donné les niveaux d’incertitude des modèles climatiques actuels, il est toutefois envisageable que les trajectoires d’émissions actuelles conduisent à une hausse des températures de 3.6°C d’ici la fin du siècle. Ce serait alors jusqu’à 50% de la population mondiale qui devrait vivre en dehors de la niche climatique, toujours en prenant en compte l’évolution démographique. Ce chiffre pourrait être plus élevé encore dans le cas où les politiques actuelles de réduction des émissions de gaz à effet de serre seraient interrompues.

Au contraire, si le réchauffement du climat était limité à 1.5°C, seule 14% de la population aurait à vivre en dehors de la niche climatique humaine. En fait, chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire conduirait selon les auteurs en moyenne près de 100 millions de personnes à vivre sous des niveaux e température annuelle moyenne situés en dehors de la niche climatique.

Par ailleurs, les effets des températures extrêmes sur la santé humaine et sur l’agriculture tendent à s’intensifier lorsque les précipitations sont faibles ou au contraire trop élevées. Or, les climatologues anticipent que les niveaux de précipitation auront tendance à augmenter ou à diminuer fortement dans certaines régions sous l’effet du dérèglement du climat. La prise en compte de ces paramètres pourrait donc conduire à des résultats plus préoccupants encore que ceux présentés par les auteurs. 

La sécheresse qui sévit depuis 2020 dans la Corne de l’Afrique est directement attribuable au dérèglement du climat. Crédit photographie : UNHCR Ethiopie.

L’étude publiée par Timothy Lenton et ses collègues souligne enfin que les pays les plus susceptibles d’être exposés à des températures extrêmes sous l’effet du réchauffement climatique sont l’Inde, le Nigéria, l’Indonésie, puis les Philippines et le Pakistan, suivis par le Soudan et le Niger. Ce sont donc en majorité des pays où les niveaux de pauvreté sont particulièrement élevés qui sont les plus vulnérables à l’augmentation des températures annuelles moyennes. Les possibilités d’adaptation devraient par conséquent demeurer très limitées pour les populations concernées.

Ces pays se distinguent également par des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre par habitants particulièrement bas par rapport aux moyennes mondiales. Ces pays sont donc non seulement plus vulnérables, mais ils font en outre partie de ceux qui sont les moins responsables de la menace à laquelle ils seront confrontés au cours de ce siècle. A la lumière de ces considérations, l’inaction climatique des Etats les plus riches semble donc absolument injustifiable.

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